L'aventure du "Je" et du "Tu" vers le "Nous"
"Vis ce que tu es vraiment"
Cette antique maxime nous invite à la métamorphose, à la transformation. L'exploration de notre monde intérieur nous plonge dans l'aventure commune que partagent tous les êtres d'essence divine qui ont choisi l'expérience de la matière, c'est à dire nous, les Humains. Le contact avec nos "profondeurs" nous place donc en face de notre destin et l'on ne peut s'étonner que, pour celles et ceux qui l'abordent avec courage, il se révèle redoutable.
Nous ne pourrons jamais vivre notre aventure intérieure de façon complète et mesurer à quelle profondeur notre expérience humaine s'enracine, sans nous risquer à la relation avec l'Autre, à la fois si proche et si lointain, si semblable et si différent. La façon dont nous prenons conscience de l'Autre n'est généralement qu'une conscience limitée, une découverte partielle, si bien que nous ne captons habituellement que des secteurs isolés et des images dissociées de l'Autre, que nous nous empressons d’interpréter selon nos propres limitations.
Quel est le sens des relations humaines ?
Lorsque nous réfléchissons au fait fondamental qu'est la relation entre les individus, nous comprenons combien une expérience qui fait pourtant partie intégrante de l'homme et jaillit de sa nature la plus profonde, peut couvrir la gamme complète de l'intensité et du sens.
C'est en effet à travers l'expérience individuelle qu'il fait du sens que l'ego se sent comme partie intégrante du tout cosmique. Pour être "complets", nous devons considérer la situation interhumaine concrète, entre le "Je" et le "Tu" qui nous amènent au "Nous". Même si la question du sens trouve une réponse dans l'expérience qu'en fait l'individu, cela demeure encore sujet à caution sans une expérience du sens telle qu'elle ne peux exister qu'entre un être humain et un autre.
Une relation interhumaine est donc essentielle, aussi difficile soit elle, pour qu'une expérience humaine soit complète. Au cours de ses méditations, l'ermite peut avoir des illuminations les plus profondes concernant le sens du monde, cependant le sens de sa propre existence corporelle et de sa réalité peut lui échapper. Même Milarepa, l'ermite remarquable et grand ascète tibétain, dit que "l'homme qui lutte pour son propre accomplissement individuel suit la voie inférieure, alors que celui qui se voue au bien des autres suit la voie la plus haute".
Selon Carl G. Jung, dans la rencontre entre deux êtres humains, à travers toute vraie relation, l'extérieur et l'intérieur se trouvent indissolublement unis. Il est impossible de dire lequel est le plus important : l'expérience que l'on a du partenaire, ou celle de la figure symbolique intérieure correspondante (animus ou anima). Les deux ont leur rôle nécessaire dans toute vie humaine et leurs significations symboliques se complètent mutuellement.
Toute relation humaine sincère est un processus numineux (1) qui touche les niveaux transpersonnels archétypes les plus profonds. Cela signifie que l'on expérimente le monde dans l'autre personne qui est à la fois un opposé et un partenaire, et qu'ainsi se concrétise l'autre pôle de la bipolarité fondamentale de la vie psychique. Il est tout à fait aussi impossible d'expérimenter une relation humaine dans l'abstrait que de se représenter l'océan si l'on n'a jamais vu la mer, c'est à dire sans avoir fait l'expérience réelle, concrète et personnelle de la mer.
La participation concrète, l'intérêt dans le sens d'être "intéressé" (être entre ou être parmi), est indispensable au même titre à l'expérience réelle de la mer, de la musique et de la relation humaine. C'est précisément ce sens d'être "intéressé" qui s'impose aux individus, lesquels très souvent n'ont pas osé jusque-là s'exposer à vivre une relation humaine, tant physique que spirituelle, qu'elle soit une relation amicale, familiale ou de couple. Le sens de la relation, qui est celui d'une ouverture de leur être permettant aux forces numineuses de couler à travers eux, un abandon conduisant vers une unité qui transcende l'ego, ce sens de la fraternité et de la confiance entre êtres humains. Ce que chacun de nous est amené à vivre concrètement est en fait le problème général de l'isolement qui est la conséquence de la perte de toute communauté rituelle. Pour certains, leur isolement névrotique fait d'eux à la fois les victimes de leur époque et, à travers leurs souffrances vécues consciemment, les avant-coureurs et les pionniers d'un ordre nouveau.
Pour ces individus, les dynamismes intérieurs du processus amènent presque infailliblement une relation d'une intensité inhabituelle. Cette relation poursuit son cours irrésistiblement, le plus souvent vers le pire, quelle que soit la lutte que ces personnes mènent pour la maintenir ou quelle que soit leur envie de s'y soustraire. Cela se produit avec d'autant d'intensité quand une personne se trouve davantage privée de relation humaine avec une autre personne dans son quotidien.
Résumée brièvement, c'est pour cette raison que les concrétisations et la durabilité de la relation se révèlent si aléatoires. Car lorsqu'il se laisse entraîner dans une relation d'amour concrète, la personne est infidèle à sa propre éthique et devient un être humain comme n'importe quel être. De ce fait, il devient incapable de résoudre son problème.
Dans un prochain post, je poursuivrai cette analyse par la difficulté de maintenir une relation d'amour au-delà des sens et de l'élever à un niveau plus profond ou plus élevé, ouverte sur l'infini.
Katja Hanska
(1) Le numineux est, selon Rudolf Otto et Carl G. Jung, ce qui saisit l'individu, ce qui venant "d'ailleurs", lui donne le sentiment d'être dépendant à l'égard d'un "tout Autre". C'est "un sentiment de présence absolue, une présence divine. Il est à la fois mystère et terreur, c’est ce qu’Otto appelle le mysterium tremendum".
Comments